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Interview d'Emmanuel Delporte - Dimension Rock

Dernière mise à jour : 1 oct. 2020


La sortie de l'anthologie Dimension Rock aura lieu dans quelques semaines. En attendant, les interviews des auteurs qui y ont contribué se poursuivent. Emmanuel Delporte a accepté de répondre à mes questions.

















Qui es-tu, Emmanuel Delporte ?

Qui je suis ? C’est la question à laquelle j’espère pouvoir apporter un semblant de réponse lorsque je serai sur mon lit de mort ! Pour la faire courte, disons que j’ai 41 ans, je suis infirmier, je vis au Québec avec ma femme et nos deux enfants et je fais de mon mieux pour comprendre le monde dans lequel je vis. Sans trop de succès, en vérité.

Peux-tu nous parler de la nouvelle que tu as écrite pour Dimension Rock ?

Je suis fasciné par la guerre et si j’ai écrit plusieurs textes sur la Seconde guerre mondiale, je n’avais jamais écrit sur le Vietnam. C’est un conflit emblématique à plusieurs niveaux. Aux États-Unis, cette guerre lointaine s’est déroulée en parallèle avec de grands changements sociétaux, qui se sont heurtées à des valeurs réactionnaires. Les conflits qui en ont découlé continuent à faire sentir leurs effets aujourd’hui, comme on peut le constater. Et puis, les Doors. C’est pour moi le groupe phare de cette époque bouillonnante. C’est un groupe hors norme, très difficile à classer. La personnalité de Jim Morrison l’a fait entrer dans la légende. C’est du rock poétique, c’est une musique libre, sauvage, qui s’affranchit de toutes les règles (pas de bassiste pour un groupe de rock, il faut oser !).

Morrison était un génie, en plus de quelqu’un qui s’est donné entièrement à son art, jusqu’à se consumer. Je ne vois aucun artiste capable de vivre ainsi aujourd’hui. Il n’y a plus que des sponsors, des images contrôlées non par une censure d’état mais par les dictatures des réseaux sociaux. L’obsession du contrôle et pire, de l’auto-contrôle, a remplacé l’élan créatif et libertaire des années soixante. On vit dans un monde aseptisé qui, comble de l’ironie, n’a pas pu nous protéger d’une pandémie.

Quels sont tes genres musicaux de prédilection ?

Comme beaucoup des camarades d’écriture dont j’ai lu les interviews, j’écoute de tout (ou presque, faut pas pousser non plus). Ça dépend de mon humeur, mais enfin, il faut que ça dégage quelque chose, ou que ce soit clairement assumé comme musique pour s’amuser (genre des musiques pour faire la fête). En ce moment, j’écoute pas mal Arcade fire, peut-être parce qu’ils sont canadiens. J’adore ce qu’ils font. En gros, j’aime le rock des seventies, le punk rock, le metal à petite dose, la musique electro dans toutes ses variantes, pourquoi pas du blues ou du jazz parfois, j’ai écouté beaucoup de rap dans ma folle jeunesse mais il n’y avait pas de vocodeur et les paroles étaient souvent politiques, contrairement à la soupe qu’on entend aujourd’hui.

En répondant à tes questions, je me rends compte que les lecteurs vont peut-être penser que je suis un vieux con. Alors pour nuancer les propos concernant notre époque, que les choses soient claires : c’était pas mieux avant, et je n’ai aucune nostalgie du monde de mon enfance. C’est juste que je trouve que ça empire, et que toutes les craintes qu’on pouvait avoir quand j’avais quinze-vingt ans sont en train de se réaliser. Ça concerne aussi la musique, et l’art en général. Tout est parti en vrille quand on a remplacé la créativité par la rentabilité et que l’art est devenu une industrie.

Côté littérature, qu’as-tu lu récemment ?

Depuis la Covid, je suis incapable de lire. Je ne sais pas pourquoi. J’ai du mal à me concentrer et à rester sur quelque chose. C’est comme si les angoisses que je traîne depuis longtemps avaient pris une nouvelle ampleur. Peut-être parce que j’ai été impacté directement, à la fois comme soignant en réanimation et parce que j’ai été infecté, je n’en sais rien. J’ai quand même réussi à lire la biographie monumentale de Lovecraft par ST Joshi, publiée par Actu SF, même si ça m’a pris trois mois. En tant qu’admirateur de HPL, j’ai trouvé ça passionnant et très éclairant sur le personnage. On pourrait s’arrêter à dire que c’était un affreux raciste et antisémite, qu’il faudrait brûler ses livres et que ceux qui le lisent encore sont des c****s et des sacs à **** mais comme souvent, la réalité est plus nuancée.

Es-tu plutôt du genre à écrire en écoutant de la musique ou dans un silence absolu ?

Ça dépend mais souvent, un fond musical m’aide à entrer dans ma bulle. C’est toujours de la musique instrumentale. La voix m’empêche de me concentrer. Ce sont des BO de films ou de jeux vidéos, ou de la musique classique. Une fois que je suis dans ma bulle, peu importe, je suis ailleurs, je suis dans mon récit et le monde réel s’efface.

Est-ce que tu as un « secret » à partager pour trouver l’inspiration ? Comment procèdes-tu pour trouver des idées ?

Je trouve ça très surfait, les idées. Je ne crois pas du tout à ce graal de l’idée géniale que personne n’aurait eue avant. On ne fait que recycler des concepts. Si on étudie de près les récits ou les histoires les plus originales, on se rend compte que ce sont des patchworks de concepts et d’idées qui ont déjà été traités ailleurs, mais autrement. Ce qui m’intéresse quand je lis ou quand j’écris, c’est la manière dont l’idée est traitée, pas l’idée en elle-même. George Lucas a été pas mail raillé pour avoir pompé le scénario de Star Wars sur Kurosawa et beaucoup de récits classiques ou religieux. Moi, je m’en fous. Je trouve qu’il a su réinventer ces histoires en leur donnant un cadre original et marquant. Ça a fait ma jeunesse et je ne trouve rien à y redire. Tu ne seras donc pas surprise qu’on critique régulièrement le manque d’originalité de mes histoires ! Ça ne me dérange pas. On vit dans une époque d’imposteurs où chaque jour, une nouvelle start up vous raconte qu’elle a inventé l’eau chaude.


Pour quelle raison as-tu choisi de devenir auteur ?

Tout d’abord, c’est quoi, être auteur ? Je pense avoir écrit mon chef-d’œuvre (je ne prétends pas que c’en est un objectivement, mais c’est en tout cas le mien) avec Le syndrome d’Icare, et maintenant je ne fais qu’écrire des récits distrayants. Je n’ai plus la force nécessaire pour créer des œuvres comme Icare, qui a fait un bide et a sombré dans l’oubli sitôt sorti, ce qui peut arriver de pire à une œuvre de création. Si je gagnais ma vie avec des livres moins puissants que ce roman, est-ce que ça ferait quand même de moi un véritable auteur ? Peut-être que j’ai trop écrit et que je continue à le faire, et que j’ai trop voulu avoir du succès. En lisant la biographie de HPL, j’ai réalisé que ses contemporains qui vendaient beaucoup et vivaient bien ont tous été oubliés. HPL a refusé tous les compromis, a été intransigeant avec son œuvre, ce qui lui a fait mener une existence misérable, proche de la soupe populaire. Mais il est entré dans la postérité.

Ce qui me fait vivre, met un toit sur la tête de ma famille et à manger dans leur assiette, c’est mon métier d’infirmier. Je crois cependant que je n’étais pas loin de me consacrer à une carrière d’auteur, avant la pandémie. J’avais prévu de diminuer mon temps de travail à l’hôpital pour me consacrer davantage à l’écriture en tant que professionnel, et pas mal de projets allaient dans ce sens. Et puis la pandémie a tout changé. Au niveau du monde éditorial et des libraires, ça a été une catastrophe. En tant qu’infirmier de réa, j’étais en première ligne et il va de soi que mon existence s’est entièrement recentrée sur la Covid. Puis j’ai été malade. Je ne m’en suis pas vraiment remis.

Je ne sais pas trop où j’en suis. Parfois, je pressens que ce non choix, poursuivre deux carrières en parallèle, va me mener à abandonner l’écriture, alors que c’est peut-être ce qui me caractérise vraiment en tant qu’être humain. Peut-être que chercher à ne faire qu’écrire serait une erreur car cela me pousserait à la médiocrité, à l’obligation de produire toujours plus. En outre, j’ai fait le choix d’avoir des enfants, et je veux leur offrir une vie agréable et des perspectives d’avenir. C’est un sujet complexe. Pour te répondre, j’ai commencé à écrire très tôt, dès l’enfance, car je me suis rendu compte que c’était la seule chose qui calmait mes angoisses et mes insomnies. Puis je me suis mis en tête de devenir un auteur publié, sans doute pour guérir des blessures narcissiques. Je ne suis pas certain que ça fonctionne.

Que t’a apporté l’écriture ? Est-ce que, d’une certaine manière, ce métier a changé ta vie ?

Oui, ça l’a changée, en bien. Quand j’écris, je m’évade, tout s’efface, il ne reste qu’un univers dont j’ai les clés, et des personnages qui me font découvrir sa géographie. J’entre dans un autre espace-temps. Le fait d’être publié m’a permis de découvrir l’univers de l’imaginaire Français, que je connaissais mal, et de rencontrer des gens formidables, dont certains partagent le sommaire de cette anthologie. Mais j’ai aussi découvert d’autres facettes plus sombres du milieu professionnel et des conflits larvés à l’intérieur de ce microcosme, auquel je n’ai de toute façon ni la prétention ni l’impression d’appartenir. Écrire pour soi ou ses proches et écrire pour être publié, ce n’est pas la même chose. Écrire pour soi fait baisser la pression, écrire pour un éditeur la fait monter. Ce dont je suis sûr, c’est que la volonté d’être publié et lu va de pair avec un ego à satisfaire. Ceux qui prétendent l’inverse sont hypocrites ou se mentent à eux-mêmes.

Quelle est ton actu littéraire du moment ?

J’ai une grosse sortie en septembre, un projet sur lequel je travaille depuis plus de dix ans et que je vais sortir en auto-édition. Je me suis entouré de gens talentueux pour le mener à bien. Ce que je peux en dire pour l’instant, c’est que ce n’est pas de la fiction et que c’est en lien direct avec l’actualité qui a changé nos vies.

L’année prochaine, mon premier roman jeunesse va être publié à L’interligne, une maison d’édition d’Ottawa. Toujours en 2021, outre l’anthologie Dimension Rock, une novella de SF va être publiée chez Flatland.

Je travaille surtout sur la suite des aventures du Styx, dont le premier volet, Répliques, est toujours disponible aux éditions Critic.



Où peut-on suivre ton actualité littéraire ?

Je suis sur Facebook même si j’aimerais ne plus y être, sinon je m’efforce de tenir mon actualité à jour sur mon site Internet.




Merci Emmanuel !

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